En cette soirée du 15 septembre 2019, le docteur Dieudonné Manenga se détendait, en famille, à Uvira lorsque des hommes armés ont fait irruption dans son domicile. Selon les médias locaux, il a reçu plusieurs balles avant de s’effondrer devant sa femme et ses enfants.
Ce drame est venu rappeler l’insécurité persistante des soignants dans les Kivus. Il y a deux ans, un de ses collègues d’Uvira, le docteur Gildo Byamungu, avait déjà été tué. En 2012, un garde du docteur Denis Mukwege (depuis devenu prix Nobel de la paix) était mort lors d’une tentative d’assassinat à son domicile à Panzi, près de Bukavu. Plus récemment, en avril 2019, le docteur camerounais Richard Mouzoko, qui travaillait pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été abattu à Butembo.
Parmi les soignants des Kivus, cette disparition supplémentaire a provoqué un choc. Une marche en blouse blanche a même été organisée le 20 septembre à Bukavu, la capitale du Sud-Kivu située à plus de 100 kilomètres. Son slogan ? « Protégez-nous et notre métier ! ».
« Les autorités ne nous ont rien dit de qui a fait cela et pourquoi, témoigne le docteur Blaise Omar, collègue et ami de Dieudonné Mabenga. Nous recevons des menaces en permanence par message. Nous ne nous sentons plus en sécurité ».
Pour le seul mois de septembre 2019, le Baromètre sécuritaire du Kivu (KST) a enregistré onze incidents violents visant les travailleurs de la santé et leurs matériels, ce qui en fait un record mensuel, à égalité avec février et mai 2019.
Au total, le KST a enregistré 96 incidents visant les systèmes de santé depuis avril 2017. C’est nettement plus que le nombre d’incidents recensés par les bases de données internationales. The Aid worker security database (AWSD) n’a, par exemple, enregistré que 25 incidents contre les travailleurs humanitaires dans l’ensemble du Congo en 2017 et 2018.
Les données du KST montrent, en tout cas, une très nette accélération du nombre de violences à partir du mois de novembre 2018 : depuis, on recense 6,7 incidents chaque mois en moyenne.
Cette augmentation s’explique en partie par l’arrivée de soignants supplémentaires dans le cadre de la « riposte » contre l’épidémie d’Ebola, qui avait été déclarée en août 2018. La majorité des incidents enregistrés depuis ont, en effet, ciblé des personnels ou matériels engagés dans la lutte contre ce virus (en rouge ci-dessous).
Ces incidents liés à Ebola ont une particularité : dans la plupart des cas, ils ont été commis par des civils, ce qui souligne à quel point les communautés touchées par la maladie ont été réservées, voire hostiles, à l’égard des soignants venus d’ailleurs.
La Coordination de l’ONU pour la réponse d’urgence à l’épidémie d’Ebola, créée en juin dernier, est bien consciente de ce problème. « Nous avons été très à l’écoute des communautés locales pour essayer d’améliorer nos méthodes, assure le coordonnateur, l’Américain David Gressly, au KST. Ses membres nous ont par exemple expliqué que les escortes militaires des équipes de la riposte les effrayaient, notamment autour de Butembo. Nous avons donc changé de stratégie pour une sécurisation des zones. Le nombre d’escortes est donc passé de 60 à 15 par jour en moyenne. L’accès aux communautés s’en est trouvé amélioré et c’est en grande partie grâce à cela que le nombre de nouveaux cas d’Ebola est désormais en baisse ».
De fait, les attaques de civils contre la riposte se font plus rares ces derniers mois : le KST n’en a enregistré que deux depuis juillet 2019.
D’autres violences ont néanmoins été commises contre les soignants par des groupes armés, souvent non identifiés. Des enquêtes de presse suggèrent même que certains d’entre eux, comme l’Union des patriotes pour la libération du Congo (UPLC), ont pu mener ces attaques (le KST en a recensé deux par ce groupe armé) dans le but d’intimider la riposte afin de lui faire payer, ensuite, une protection.
L’épidémie de violence contre les soignants ne prendra pas en tout cas pas fin avec la disparition du virus d’Ebola. Le KST a enregistré une moyenne de 2,9 incidents par mois sans lien avec la riposte depuis novembre 2018, ce qui suggère une aggravation globale de l’insécurité des soignants dans les Kivus. Les groupes armés congolais ne respectent pas le droit international humanitaire et cela semble de moins en moins le cas.
On peut souhaiter, toutefois, que l’épidémie laisse derrière elle quelques leçons quant à la manière la plus sûre d’opérer dans la région pour les travailleurs de santé étrangers. L’établissement de relations de confiance avec les habitants semble notamment central comme le montre l’expérience de l’ONG Alima. Cette organisation, fondée au Sénégal, fait de ses liens avec les communautés locales une priorité. « Contrairement aux autres organisations internationales, plus de 90% de nos agents sont Africains, explique une source à Alima. Nous nous efforçons même de recruter au maximum dans les localités mêmes où nous opérons et de nous appuyer sur les centres de santés locaux en qui les gens ont confiance ». Cette organisation, qui compte plusieurs centaines d’agents au Nord-Kivu depuis août 2018, affirme n’avoir jamais été la cible d’attaque.